Tom Cora - Gumption in Limbo : The Story of Anybird
□ Baroque sur PS2 et Wii, un remake apétissant □
□ L'esprit Dada dans le jeu de Sting □
L'esprit Dada dans le jeu peut être analysé via 2 approches : On prendra d'abord l'esprit du Cabaret Voltaire de Zurich, pour parler des personnages du jeu qui sont à la fois comiques et grotesques. On prendra ensuite l'esprit plutôt constructivisme de Dada, qui influencera Kurt Schwitters ou Tomoyoshi Murayama dans leurs constructions de Tours de la misère, pour parler de Kito Eisaku le créateur de la Nerve Tower.
□ Le Cabaret Voltaire □
En 1916 le Cabaret Voltaire de Zurich (en suisse) est le lieu le plus important des débuts de Dada. Gravitant autour de Tristan Tzara qui prétend avoir inventé le mot Dada (un mot qui ne veut rien dire mais qui se comprend partout, car approprié aux sonorités de toutes les langues) et qui en est en tout cas le philosophe numéro 1, les plus éminents membres du mouvement se produiront en spectacle tous les soirs pendant 4 mois dans le Cabaret Voltaire avant que celui ci ne soit condamné à fermeture. Il s'agissait de spectacles de tous types, pluridisciplinaire, qui façonneront l'état d'esprit Dada : on pouvait y entendre des poèmes africains incompréhensible, y voir des danses délurées et des costumes satirique lors de pièces de théâtres absurdes, y écouter de la musique bruitiste, de la poésie, et évidemment on pouvait prendre part à cette grande farce. Dada échappe aux catégories et est d'une extraordinaire vitalité. Dada disait que tout le monde pouvait être artiste, et que tout pouvait être de l'art car « Dada est la danse des impuissances de la création ». Le manifeste Dada de 1918 (par Tristan Tzara) prône le paradoxe, le non sens. L'artiste ne peint plus mais créé directement via la protestation.
□ Ubu Roi □
Ce Cabaret Voltaire ou théâtre de l'absurde qui caractérisa pendant longtemps l'esprit Dada et que l'on retrouve dans les personnages de Baroque doit ses origines à la pièce de théâtre Ubu Roi. Publié et représenté pour la première fois en 1896, Ubu Roi d'Alfred Jarry est probablement l'oeuvre précurseur de Dada et de l'Idiotie (en tant que mouvement). Le travail sur les mots et le caractère surréaliste sont déjà présent.
Lorsqu'Alfred Jarry a présenté cette « retranscription » d'une farce de lycéen, à la base imaginée pour se moquer d'un de leur professeur, la pièce fit scandale (ce que Jarry souhaitait, bien évidemment). D'un grotesque surréaliste et d'une absurdité dérangeante, le personnage du père Ubu terrifie autant qu'il amuse. Père Ubu, obsédé par sa richesse personnelle, n'hésitera pas à renverser le roi de Pologne pour lui voler son royaume. Il se nomme Maître des finances et torture le peuple à l'aide de sa Machine à Décerveler pour récolter les impôts. Outre ce personnage provocateur et bassement idiot, l'oeuvre est aussi parcourus par de nombreux jeux sur les mots, qui caractérisera plus tard l'esprit Dada : on trouve de nombreuses expressions inventées par Jarry, la fameuse épenthèse Merdre (parmi d'autres) qui ouvre la pièce, le palindrome Ubu ou encore les jeux de mots satiriques que l'on lira tout au long de l'oeuvre.
Ubu Roi est une pièce majeure de la littérature moderne, d'où naîtra l'adjectif ubuesque.
□ Baroque est un exercice de style ubuesque □
Une seule ville, un seul donjon, une seule intrigue, une difficulté absurde, des personnages grotesques, des ennemis primitifs et surtout une ambiance précaire post apocalyptique absolue et aussi bordélique que l'oeuvre d'Alfred Jarry.
Les personnages de Baroque ont cette aura surréaliste qu'a le père Ubu ou les membres du Cabaret Voltaire; ce coté grotesque, absurde, barré, baroque. Déformés par la grande vague de chaleur qui s'est abattus sur le monde, ils essaient malgré tout de survivre dans leur nouvelle apparence farfelue. Petit portrait de famille non exhaustif :
The Collector, dont le physique en poire rappellera le dessin original du père Ubu d'Alfred Jarry, possède un sac sur sa tête qui forme une nouvelle excroissance dans laquelle il conserve les objets qu'il trouve ou que le joueur lui confie.
Longneck est le plus représentatif du contraste et du grotesque Dadaïste et Baroque. Ce personnage au long cou s'enfonce au fur et à mesure dans le sol, et seul son long cou ressort de la terre ce qui lui permet de survivre un temps soit peu. Mais il sait qu'il disparaîtra dans le sol. « Rien pour demain, rien pour hier, tout pour aujourd'hui » - Francis Picabia.
The Boxbearer est également un personnage fort du jeu. Il tient dans ses grandes mains une petite boite. Et il insiste pour dire que sa soeur est enfermée dans cette boite. Volontairement inutile, ce personnage représente lui la dérision et l'idée du « sans but » que développeront les dadaïstes. C'est le vide érigé en art de vivre. Analysé de manière plus picturale, ce personnage représente aussi le créateur qui tient dans ses mains le cube, l'oeuvre, métaphore du collage dadaïsme qui était vus comme du cubisme hasardeux.
□ MERZ □
« Les débuts de dada n'étaient pas les débuts d'un art mais ceux d'un dégoût ».
L'un des acteurs majeurs et grande influence du mouvement Dada fut Kurt Schwitters, qui n'a en vérité jamais été Dada (absurde?).
Kurt Schwitters, né en 1887 étudie les Beaux Arts de 1900 à 1917 à Brest, Hanovre puis Berlin. En 1918, influencé par Dada il se lance dans le collage, mais il est refusé par le mouvement. Il créé alors son propre mouvement « Merz », venant du mot « Komerz » (consommation). En 1919 il finit son premier tableau, qui montre les recherches de l'artiste pour l'aspect mécanique. Il écrit aussi de la poésie et des sonates primitives, avec un nonsense apparent des phrases, influencé par les évènements dadaïstes du cabaret Voltaire de Zurich.
Influencé par le constructivisme (voir thème) romantique et Dada, Schwitters fait la synthèse de plusieurs mouvements. Il travail tout au long de sa vie sur le concept de l'égalité des matériaux : Le choix de matériaux « nobles » n'est plus indispensable à la création d'oeuvres d'art, Schwitters est un artiste du déchet. Il ramasse n'importe quel objet dans la rue pour créé des oeuvres représentatives des déchets du monde. « Tout ce qu'un artiste crache, c'est de l'art »
En 1930 il édifie son premier Merzbau en Allemagne, colonne assemblée à l'aide de collages nombreux du mot Merz, d'objets de récupérations et de miroirs pour modifier la vision du spectateur. C'est sa première « Cathédrale de la misère érotique ». Il développe cette colonne dans toute sa maison. Cette oeuvre sans limite dans la poursuite artistique est l'aboutissement de la recherche de l'art total : l'artiste est devenu l'oeuvre.
Il fera d'autres Merzbau au cours de sa vie et de ses exiles, mais tous seront détruits par des bombardements lors de la seconde guerre.
□ Dada au Japon □
Dada fera des émules partout à travers le monde, et au Japon Dada fut accueillit comme une forme de rébellion et de libération. Tomoyoshi Murayama découvrit Kurt Schwitters et le constructivisme à Berlin en 1922, et il retourna au Japon fonder le mouvement « Mavo ». Ses maquettes architecturales et ses assemblages d'objets Mavo rappellent fortement l'oeuvre et la philosophie de Schwitters. Murayama concevra une oeuvre majeure : « Maquette du quartier général mavoïste », souvent comparé au Merzbau de Kurt Schwitters et au Plasto-Dio-Dada-Drama de Johannes Baader.
□ Kito Eisaku à l'origine de la Nerve Tower □
Avec comme influences ces 3 oeuvres monumentales, Kito Eisaku a imaginé la Nerve Tower (ou Neuro Tower) comme une énorme Tour de la frustration. Kito Eisaku est l'un des plus représentatif créateur de figurines de science fiction et d'horreur au Japon. Il s'est notamment illustré dans de nombreux magazines dédiés au modélisme, notamment dans le magazine Sensational Model & Hobby au milieu des années 1990, l'un des rares périodique japonais du genre qui n'était pas envahit de figurines Gundam. Mais aussi pour d'autres jeux vidéos comme Wachenröder de Sega, pour des films (Zeiram) et finalement pour une fameuse campagne de pub avec Nike en l’honneur des « dunk » vintage de la marque. Souvent décrites par lui même comme précaires, grotesques et constructivistes, ses oeuvres constituent un univers atypique qui prolongent à leurs petits niveaux l'esprit Baroque et Dada. La Nerve Tower devient le lieu principal du jeu. Installation précaire, elle est constituée de matériaux issus de la vie courante tels que des vieux papiers, des cartons, de vieux matériaux industriels rouillés et piquants comme une vieille aiguille à coudre. Comme si elle avait une âme, son aspect biomorphique aidant, elle continue de se transformer à une vitesse effrayante.
Cette tour de la frustration représente un Bauhaus désenchanté, un « work in progress ». Une oeuvre qui ne s'arrête jamais d'évoluer, porteuse de liberté.
Dada poursuit son petit bonhomme de chemin au Japon, notamment grâce à la musique bruitiste très présente sur la scène musicale japonaise. Certains groupes ou musiciens de ce qu'on appel la « japanoise » ont un nom emprunté au mouvement Dada et lui dédit souvent des musiques. Citons Merzbau, ou encore Masonna.